Je sors de sa lecture à la fois avec le ressenti d’une certaine justesse, du bon sens paysan on oserait dire, et l’impression d’un travail d’analyse réalisé à travers un prisme peu adapté au sujet et auquel l’auteur semble rester fidèle tout au long de l’ouvrage.
L’erreur est là dès l’exposition de la thématique de l’ouvrage, qui se voudrait dédiée à la mobilité et qui, en réalité, ne touche que les « transports » (le titre en est gage de fidélité) ; j’y reviendrai.
Broto s’attaque à celle qui lui paraît être la grande oubliée des politiques de mobilité des 30 dernières années en matière de décarbonation, qu’il identifie dans la mobilité longue du quotidien hors grandes agglomérations, constituant à son sens à la fois le point irrésolu des politiques jusqu’ici appliquée et l’essentiel du gisement de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il y développe une critique régulière et, permettez-le-moi inutilement redondante, des investissements ferroviaires, lents à réaliser et pas rentables, avec pour point d’honneur le questionnement de toute actualité sur les initiatives liées aux Réseaux Express Régionaux Métropolitains (SERM) dont il critique le parisianisme et le prisme ferroviaire, à son sens inadaptés à la résolution des problèmes qu’ils se proposent de traiter.
Or, si la question du périmètre de pertinence territoriale du ferroviaire et des offres qu’il est capable de proposer est un sujet, il est vrai, trop souvent éludé et qui mériterait d’être traité de manière spécifique, comme celui de toute autre offre de mobilité lorsqu’elles se proposent de combler un besoin, il semble ne pas souhaiter de voir la spécificité métropolitaine de ces projets, pourtant bien présente dans le nom même de ceux-ci.
La dimension ferroviaire des SERM doit en ce sens être vue comme une squelette, une solution accompagnant la massification du besoin pour la zone la plus dense des territoires autour d’infrastructures existantes et à améliorer et, en tant que telle, comme un socle autour duquel concevoir et proposer une offre de mobilité variée et systématiquement à adapter aux besoins territoriaux qui serait, elle, forcément bâtie sur des solutions autres que le train mais développées en harmonie avec celui-ci.
C’est pourtant ici que deux autres difficultés s’ajoutent à la lecture que l’auteur propose.
D’une part celui-ci simplifie dans sa lecture et à l’extrême les contraintes de l’intermodalité, car il lui semble réaliste d’envisager des cars ou des autobus passant dans les différentes communes, facilités par une capacité à rouler sur toute infrastructure routière et avec pour seules difficultés à résoudre l’amélioration des signalements des leurs trajets, des leurs arrêts, gares routières et autres solutions de billettique. Pas de questionnements, ici, sur les difficultés principales qui, depuis toujours, font de l’intermodalité le Godot, notre héro beckettien de la mobilité à venir ; c’est-à-dire la capacité des voyageurs à connaître, prévoir, faire confiance et surtout déléguer la gestion de l’imprévu aux organisateurs et opérateurs de mobilité et qui, depuis toujours, réservent cette fantomatique capacité aux happy few les plus motiles comme les enquêtes du CEREMA ont bien permis de le mettre en évidence.
D’autre part l’auteur part d’un second a priori, cette fois négatif, et notamment celui de l’impossibilité de marier aménagement du territoire et mobilité en supposant des évolutions économiques et des souhaits des habitants conduisant forcément à une augmentation des déplacements et à un éloignement domicile-travail. Toute tentative de rassembler et mieux diriger les flux de voyageurs ferait donc office d’œuvre louable et illusoire.
Pourtant il paraîtrait bien difficile d’envisager dans ce contexte qu’un simple remplacement du train par l’autocar puisse, seul, faire la différence. L’auteur le dit en quelque sorte de lui-même, si nous prenons les constats qu’il distille entre les pages de son œuvre mais il n’en tire pour autant pas conséquence autre qu’un moindre coût et une plus grande flexibilité en cas d’inefficacité.
C’est ici, j’y reviens enfin, que l’écart entre le souhait et la réalisation du travail de l’auteur se révèle ; l’ensemble de l’ouvrage fait en fait essentiellement l’impasse sur la dimension et les évolutions comportementales et territoriales. Ces points constituent, de mon point de vue, les vrais enjeux que les politiques publiques liées à la mobilité ne devraient éluder et les seules solutions permettant de garantir l’évolutivité et l’adaptabilité des solutions de mobilité aux besoins des citoyens d’aujourd’hui et demain.
Ne traiter que de la question de la réalisation de l’offre la plus adaptée à un état de lieu donné et qui ne saurait évoluer car toutes ses composantes sont données comme acquises y serait certes une manière d’optimiser les coûts et réduire les frais, mais ça n’en ferait pas pour autant une politique et une offre de mobilité. Il n’y a donc d’enjeux que les transports, dans ce livre, son titre y est fidèle, alors qu’il devrait y être question de mobilité.
S’attaquer à la pertinence d’un a priori ferroviaire n’est donc pas une démarche négative en soi et peut même être pertinente pour corriger des erreurs du passé mais pas si cela a pour but de remplacer le totem du rail par celui du goudron. A partir de quel moment, saurons-nous aborder le sujet de la mobilité à partir de ses racines territoriales, en évitant les solutions prédéfinies et en sachant regarder au-delà que le simple transports de corps et des biens pour enfin le prendre du point de vue des souhaits et de besoin d’aller et venir qui sont les nôtres ?
Si vous souhaitez vous attaquer à l’ouvrage ; il vous attend ici.